On continue notre brève histoire du temps de travail et l’on arrive maintenant aux dates un peu plus contemporaines. Si vous avez raté le premier épisode, il se trouve ici. Pour voir l’ampleur de ce recul social, il faut parfois regarder un peu derrière nous. Ce sont les différentes grandes mobilisations et grèves qui ont permis des améliorations du temps de travail et il nous semblait intéressant de revenir très brièvement sur ces évolutions.
Mais les dates ce n’est pas vraiment ce qui est important (à part pour briller au trivial pursuit ou épater le prof d’Histoire si vous êtes ce genre de personne). Ce qui est plus intéressant c’est le parallèle historique et les corrélations que l’on peut faire avec l’attaque massive qu’est la loi « travail » El Khomri .
On s’était arrêté en 1936 où les grèves massives, les occupations d’usines et la peur révolutionnaire avaient contraint les patrons et le gouvernement à accepter entre autres, la semaine de 40 h en échange d’un retour au travail promis par les syndicats. Après la fin du conflit, le retour à l’ordre redonna confiance au patronat qui poussa l’État à revenir rapidement sur ces quelques avancées sociales.
1938 : Le gouvernement centriste met fin à la semaine de 40 heures en utilisant le bon vieil argument patriotique. Il faut « remettre la France au travail » pour « permettre la défense nationale ». Retour aux 48 heures de travail par semaine.
1941 : Le gouvernement de Vichy proclame la charte du travail supprimant le droit de grève, mais créant un salaire minimum fixé par l’État (l’ancêtre du SMIC), le minimum vieillesse, nationalisant les caisses d’assurance santé (préfigurant la Sécu), rendant obligatoire la médecine du travail et favorisant le dialogue social entre patrons et délégués du personnel. Le 1er Mai n’est plus la fête des Travailleurs, mais deviens la fête du Travail. Il devient un jour férié rémunéré et l’églantine rouge est remplacée par le muguet.
1946 : Le gouvernement provisoire rétablit la semaine 40 heures tout en permettant les heures supplémentaires. Cette loi est mise en place en échange d’une forte augmentation des cadences de travail et avec le soutien de la CGT et du PCF qui s’engagent dans la « bataille de la productivité » ((Ce qui donnera, après celle de 1936, une autre citation célèbre, de Maurice Thorez secrétaire général du PCF : «Produire, produire et encore produire, faire du charbon, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de Français » Maurice Thorez, Discours à Wazier 21 juillet 1945)). Dans les faits, la journée de travail ne diminue pas tant que cela et les heures supplémentaires permettent qu’elle continue de tourner autour de 45 heures par semaine
1968 : L’embrasement social et la grève générale de Mai 1968 poussent le patronat et les syndicats à ratifier les accords de Grenelle pour pousser les grévistes à reprendre le travail. Ces accords contiennent entre autres la baisse effective du temps de travail à 40h par semaine. Rapidement les semaines de travail commencent réellement à tourner autour des 40 h.
1973 : La crise économique touche l’ensemble du monde. L’augmentation de la productivité ne suffit plus aux capitalistes pour continuer à faire toujours plus de profits. Ils ne peuvent plus laisser augmenter les salaires en même temps que la productivité. Le chômage commence à croitre, les usines à délocaliser et les patrons à précariser le travail pour permettre une baisse des salaires réels. C’est le début de la restructuration ((http://www.tantquil.net/2013/03/22/quest-ce-que-cest-la-restructuration/)) qui continue encore aujourd’hui.
1982 : Durant sa campagne présidentielle, Mitterrand promet les 35 heures. Arrivé au pouvoir, le temps de travail est en réalité seulement réduit à 39 heures par semaine.
2000 : La loi sur les 35 heures est votée et est progressivement mise en place jusqu’en 2002. En réalité, cette réduction du temps de travail se fait en échange d’une baisse des cotisations patronales (qui sont du salaire indirect ((http://www.tantquil.net/2013/10/23/quest-ce-que-cest-le-salaire-indirect/)), d’une précarisation générale des contrats de travail, de la possibilité de multiplier les temps partiels et d’une très forte augmentation des cadences de travail. En plus, la plupart des entreprises n’ont jamais réellement adopté les 35 heures et se sont contentées d’accepter les journées de RTT. De toute façon, la loi est remise en question dès son application en 2002 puisque différentes mesures favorisent rapidement le recours aux heures supplémentaires en baissant leur prix ou en les défiscalisant. Plus que de nous permettre de travailler moins, la loi des 35 heures a surtout permis une précarisation des contrats de travail et donc une baisse des salaires. Elle a été un instrument efficace dans la restructuration du capitalisme.
2003-2013 : Aucune évolution légale du temps de travail, mais de plus en plus de facilités pour le patronat d’avoir recours aux heures supplémentaires. Le temps de travail réel par semaine en France augmente de 4h et atteint en moyenne 39,2 heures par semaines ((Centre d’observation économique et de Recherche pour l’Expansion de l’économie et le Développement des Entreprises, La durée effective annuelle du travail en France et en Europe en 2013, Paris, juin 2014)) pour les travailleurs salariés à temps plein.
2016 : Projet de loi El Khomri faisant passer les journées à 12 heures de travail, la semaine jusqu’à 46 heures, facilitant les heures supplémentaires et rendant gratuits les licenciements abusifs. Après avoir utilisé le passage aux 35 heures comme carotte pour accélérer la précarisation du travail, l’État décide de supprimer la carotte tout en baissant un peu plus les salaires (BFM appellerait cela le « coût du travail »).
On voit donc que seules les baisses du temps de travail arrachées par des luttes sociales ont été effectives et ont permis une certaine amélioration des conditions de travail.Mais à partir des années 1970, le capitalisme en crise n’a plus la possibilité de lâcher de telles baisses de profit pour lui. De toute façon, le rapport de force dans les luttes sociales ne le permettait plus. Par contre, cela n’a pas empêché au temps de travail légal d’être baissé, mais en échange de fortes baisses des salaires et d’augmentation des cadences de travail.
La loi El Khomri s’inscrit donc dans un processus de précarisation et d’attaque contre les prolos qui dure depuis les années 1970. Et encore pour que cet article reste court et principalement sur le « temps de travail », on vous a épargné toutes les réformes de ces dernières années. On reviendra dessus surement dans un prochain article.
Aujourd’hui, l’idée est de revenir sur la baisse légale du temps de travail et de continuer à baisser des salaires. En fait, si les 35 heures n’ont pas réellement fait baisser le temps de travail (on travaille toujours en moyenne 39,2 h/semaine pour un temps complet), ce que la loi El Khomri promet c’est, entre autres la suppression des RTT. Du coup, au lieu de pouvoir poser une journée de congé payé, on devra travailler et sans que ce travail ne soit rémunéré. Pire le salaire pourra largement être baissé par des accords de boite signés entre le patron et le syndicat maison ou en passant par un référendum démocratique ou le choix sera : baisse de salaire ou licenciement économique.