Au début, « La grande aventure Lego » comme les autres jouets convertis en films américains, (Barbie, Transformers, Hot Wheel) devait sûrement plus servir à vendre des petites briques que porter une critique sociale. Une bonne petite pub de plus de 100 minutes pour le jeu de construction danois permettant à l’entreprise d’augmenter leur vente de boites contenant un des plastiques les plus chers au monde au kilo. Parfois on a du mal à comprendre ce qui se passe au sein des réalisations culturelles du capital, mais une bonne dose de messages révolutionnaire se développe dans les productions les plus improbables. À la fin on se demande tout de même comment un film pour enfant au contenu aussi contestataire vis-à-vis du système actuel a réussi à être produit par un Hollywood.
Lego the Movie (La grande aventure lego en français) est un film d’animation sorti en 2014 où l’ensemble de l’univers est composé de petites briques. Le synopsis se résume à ça : « Emmet Brickowsky un travailleur ordinaire trouve la « pièce de résistance » et est pris par erreur pour l’« Élu », c’est-à-dire celui qui peut sauver l’univers face au Président Business et qui veut détruire l’univers Lego avec le « Kragle », une machine permettant de coller toutes les figurines Lego. »
En voyant ce résumé, il est évident que ce long-métrage cible un public jeune. Bien sûr c’est une pub géante pour les petites briques Lego. Toute la gamme vendue à la Grande Récrée depuis les années 80 y est présente. Mais paradoxalement, ce long métrage finit plus par se rapprocher d’un film d’Elio Pétri du style La classe ouvrière va au paradis, que d’une énième fable Disney faite pour vendre des produits dérivés. Mieux que ça, on a même l’impression qu’il tord les habituels poncifs du genre pour en donner une lecture souvent matérialiste.
Là, vous vous dites qu’on a pété un câble et qu’avec nos yeux de rouges on voit des petits Marx partout. Tout ne saute pas aux yeux dès le premier visionnage et bien souvent, certaines analyses de classes sont cachés derrière une narration plus classique probablement nécessaire pour vendre le film. Mais prenez le temps de regarder ce dessin animé, les références et l’analyse y sont trop directes pour que cela soit involontaire[1].
(Attention les Spoilers commencent réellement ici. Si vous ne voulez pas que l’on vous raconte le scénario, ne lisez pas la suite. Ça serait dommage, vous rateriez l’essentiel de l’article et « La Grande aventure Lego » est intéressant pour son analyse de classe plus que pour ses cliffhanger)
Le héros : Un ouvrier qui se complaît dans sa propre aliénation
Tout d’abord le héros du film (il en faut bien un c’est une production hollywoodienne) Emmet, est un ouvrier qui travaille sur des chantiers de construction. Son quotidien est rythmé par le fait de suivre pas à pas les instructions données par son employeur : Octan. Ces « Instructions pour trouver sa place, se faire aimer de tous et être toujours heureux » consistent à se faire exploiter quotidiennement tout en étant ravi de l’être.
Les consignes qu’il applique dès le réveil sont très parlantes :
« Écoutez de la musique pop, lisez les gros titres, n’oubliez pas de sourire, soutenez toujours l’équipe sportive locale, rendez toujours un compliment, buvez du café hors de prix, faites exactement comme il est dit dans les instructions ».
Emmet Brickowsky
Une véritable définition de « l’homme unidimensionnel » d’Herbert Marcuse en version Lego.
Emmet, simple et naïf, se satisfait largement de cette situation. Même la misère sociale et affective dans laquelle il se trouve (la chose dont il est le plus proche est une sorte de ficus) ne le pousse pas à la moindre critique sur sa vie actuelle. Son seul lien avec avec les autres étant les banalités qu’il échange autour des sitcoms débiles qu’il regarde religieusement et de la musique pop que tout le monde écoute. En tout cas, jusqu’à ce qu’il trouve par hasard la « pièce de résistance » objet convoité par le président Business.
Le flic schizophrène, bras armé du patron
Emmet se fait alors arrêter et interroger par un flic schizophrène incarnant la double personnalité du bon et du méchant policier. Ce flic est violent, amoral et frappe constamment une chaise pour symboliser sa capacité à tabasser Emmet pour arriver à ses fins (voir un flic qui torture le héros, c’était peut-être aller trop loin dans une production hollywoodienne pour enfant. Pourtant il est dit plus loin dans le film que le flic a déjà torturé régulièrement des opposants).
Mais ce flic reste un prolo, le patron est obligé de le menacer pour qu’il suive ses instructions et tente même de se débarrasser de lui dès qu’il n’est plus utile. Il finit donc logiquement par rejoindre l’autre camp lorsque la révolution est lancée.
Sa citation préférée : « désolé, je dois faire mon boulot »
Le méchant incarné par le « président business » et son entreprise Octan
Contrairement à de nombreuses productions, il n’est indiqué nulle part que la ville Lego soit une dictature ou un État totalitaire. Au contraire, le chef du monde est un président que la plupart des travailleurs aliénés adorent. De plus, son entreprise : Octan, produit des machines à voter ce qui laisse à penser que l’on est dans un État mondial démocratique.
« Mais le président business est super gentil et Octan ils produisent des trucs super : musique, produits laitiers, café, émissions de télé, systèmes de surveillance, tous les livres d’Histoire, les machines à voter … ».
Emmet Brickowsky
A aucun moment la démocratie n’est opposée à une forme de totalitarisme. La position dominante du président Business est issue de la puissance de l’entreprise Octan qu’il dirige. D’ailleurs le but des opposants à Business n’est jamais d’obtenir plus de démocratie ou que leurs voix soient entendues.
Sa position économique dominante permet au président Business d’être en capacité d’accomplir son but ultime qui est celui de tout engluer pour que le monde reste figé. Mais là encore cet objectif peut être plus vu comme un objectif de classe qu’un but individuel. Il voit son intérêt objectif à ce que la société reste comme elle est et que son statut d’exploiteur ne puisse jamais être remis en cause. L’allégorie est encore plus évidente à travers les petits robots utilisés par le méchant pour mettre chaque chose à sa place avant de l’engluer et qui s’appelle les « micro-manageurs ».
Sa citation préférée : « Ce n’est pas personnel, ce n’est que le Business ».
La critique du capital et limites du militantisme révolutionnaire
Emmet est ensuite sauvé des mains du flic schizophrène par des opposants au président Business. On peut voir dans chacun d’entre eux une forme de représentation d’un stéréotype de militant. Tout d’abord Cool-Tag (Lucy) qui refuse d’utiliser son vrai prénom pour se donner une certaine posture. On peut voir également dans le personnage de Batman celui l’anar individualiste.
Mais le parallèle le plus évident est à faire avec le personnage d’Unikitty, sorte de chaton-licorne rose sous MDMA qui prend le rôle de la militante hippie pacifiste vivant dans un monde existant en dehors de la société marchande. Elle annonce d’ailleurs explicitement que dans son « pays des nuages perchés on dit non aux règles et non aux gouvernements ! » Son pays alternatif est rapidement détruit par Octan et les micro-manageurs qui capturent la plupart des habitants et les intègrent au « laboratoire d’idée » de l’entreprise. On peut voir là, une métaphore très intelligente du capitalisme comme système total. Ce dernier ayant toujours agi de la même manière avec les autres modes de production ou les sociétés dites alternatives : Il intègre et récupère ce qui peut permettre de développer le capital et finit par détruire tout ce qui ne lui correspond pas.
Plus important encore l’ensemble de ces personnages militants sont brillants et ont la capacité de transformer leur environnement (Lego) pour en faire à peu presque ce qu’ils veulent. Par contre, ils sont en incapacité totale de coopérer pour construire quelque chose de commun ce qui manque de les mener à leur perte. À l’inverse Emmet est totalement incapable d’avoir la moindre imagination, mais son travail d’ouvrier lui a appris la coopération et le travail commun. Cette absence de capacité pousse les militants à largement mépriser Emmet.
Enfin le personnage de Vitruvius dans lequel, avec un peu d’imagination, l’on pourrait presque reconnaitre la figure de K. Marx. Il est là pour annoncer la prophétie à celui qui découvre la « pièce de résistance » en lui prédisant qu’il sera « le spécial ». Là on se dit que « La grande Aventure Lego» tombe dans la classique et très individuelle quête initiatique de l’élu chère à Hollywood. Sauf que Vitruvius annonce qu’il a tout simplement inventé la prophétie et que personne n’est élu ou spécial. C’est un retournement de l’habituelle vision de l’épopée légendaire. Emmet n’est pas particulier et il n’y a pas de prophétie. Le monde Lego ne peut être sauvé par une individualité spéciale, mais en période de crise, par la révolte commune de l’ensemble des êtres aliénés.
Appel à l’émeute et dépassement révolutionnaire
« Arrachez les briques du sol, démontez le mobilier, mettez vos murs en pièces. Construisez ce que vous seul pouvez construire. Défendez-vous ! Il faut que l’on se batte contre les plans du président Business qui veut nous figer. »
Lucy
Même si la caméra suit principalement la lutte des « héros », c’est le soulèvement de l’ensemble des travailleurs qui permet la remise en cause des plans du président Business. Les militants finissent par se rendre compte que la révolution vient du prolétariat et non de l’avant-garde qu’ils incarnent et fond amende honorable de l’attitude méprisante qu’ils avaient envers ceux qu’ils considéraient « comme des moutons qui n’avaient ni idée, ni vision ».
Plus intéressant encore, le face à face entre Emmet Brickowsky et le président Business accouche d’une fin plutôt inattendue. L’ouvrier n’essaye pas de tuer, de punir ou d’enfermer le président Business, il l’invite juste à regarder l’ensemble de son monde qui s’est effondré et lui tend la main. Plus personne ne respectant la propriété, plus rien ne peut encore faire de lui un capitaliste. Le film justifie cette fin par la résolution du conflit entre père et fils qui finissent par jouer ensemble aux Legos. Logique, c’est plus acceptable pour les distributeurs et en plus ça permet d’essayer de vendre des briques à toutes à la famille.
Mais en allant plus loin, on peut voir en filigrane une belle métaphore de la révolution communiste abolissant toutes les classes. Plutôt que de tenter de se venger de son aliénation passée, Emmet décide de cesser d’agir strictement en tant que prolo face à son ancien patron, car ce n’est plus nécessaire. La perspective de la société post-capitaliste qui est en train d’émergée est alors plus importante que les anciennes divisions de classe. La bourgeoisie capitaliste a été expropriée par tous, elle n’est donc plus bourgeoisie. Seule compte alors la société qui nait avec tous ceux qui veulent en faire partie. De chacun selon ses capacités, a chacun selon ses besoins …
Dernièrement, les deux réalisateurs de ce chef d’œuvre (n’ayons pas peur des mots) Chris Miller et Phil Lord, ont été chargés par Disney de la réalisation du prochain spin-off Star Wars basé sur la jeunesse de Han Solo et qui devrait sortir en 2018.
Dès lors, on peut commencer à rêver à un épisode de la saga avec un vrai fond subversif. Les parents de Han seraient de simples ouvriers sur les chantiers navals de Corellia. Son père rendu inapte au labeur par un accident de travail aurait poussé sa mère et les autres travailleurs à la révolte sociale contre leurs conditions de travail et contre les syndicats locaux tentant de limiter leur colère. Commençant à embraser l’ensemble de la planète, cette révolution serait alors réprimée dans le sang par les forces impériales et républicaines, alliés de circonstance face au danger révolutionnaire. La mort de sa mère sous les matraques des Forces de Sécurité Corellienne rendant le petit Han livré à lui-même dans les ruelles sombre des quartiers ouvriers de Coronet City…
[1] La Grande aventure Lego à fait peur aux USA surtout à la Fox : http://www.huffingtonpost.com/2015/05/28/lego-movie-scripted-by-karl-marx_n_7462068.html
Ouai, enfin, j’y vois une belle récupération de la « fable communiste et révolutionnaire » pour vendre un film et des produits avec. L’idée derrière, c’est de montrer que les Lego, ça permet de tout créer, de réinventer ce qui est figé en le détruisant et en reconstruisant, inlassablement et infiniment. Ce qui est cool, avec les Lego. Mais reprendre cet axe social pour en faire un film marchand, pour vendre des biens marchand, ouai, non.
Car même si les rapports dans le film sont intéressant et presque soulageant (car c’est pas la soupe que l’on nous sert au cinéma habituellement), ils ne sont là que pour servir un propos: vendre.
Le capitalisme s’adaptera à toute situation tant qu’il pourra exister et perdurer, même s’il doit rendre flou les classes sociales qui le compose.