Quelques mois après le meurtre d’Adama Traoré par une escouade de gendarmes, l’assemblée nationale vient d’adopter le 6 février dernier, la Loi de Sécurité Publique. En pleine période d‘enfumage médiatique visant à couvrir une nouvelle exaction policière, et à faire passer un viol à coup de matraque télescopique pour un « accident », cette loi élargit le cadre de la « légitime défense » policière. Elle vient clôturer deux années de renforcement des dispositifs sécuritaires.
Que la police soit violente, mutile, viole et tue, fait partie de son répertoire classique et de sa raison d’être. S’en offusquer ne sert pas à grand-chose. De même que les politiciens et la justice, les fractions bourgeoises de l’État, la couvre en permanence et l’acquitte régulièrement. Que l’État lâche encore un plus la bride de la police dans la période actuelle n’est pas anodin. Il faut accompagner le durcissement des conditions de vie imposé par la bourgeoisie pour que celle-ci maintienne son taux de profit, et mater tout ce qui entendra s’élever, même a minima, contre l’exploitation. Petite remise en contexte de cette « présomption de légitime défense ».
« Lorsque […]ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui » Point 4° de l’Art. L. 435-1 de la Loi de Sécurité Publique
Sur le pied de guerre.
Cette extension du cadre de la « légitime défense » ne tombe pas comme un cheveu sur la soupe. Si cette revendication a longtemps germé parmi les franges policières les plus proches de l’extrême-droite, elle s’est propagée à la faveur de l’ambiance nauséabonde d’unité nationale et d’effet « Charlie » octroyant une soudaine popularité à la police. L’adhésion d’une partie de la population à ce climat, toutes classes confondues, constitua un moment contre-insurrectionnel majeur. Une marée humaine défilait en criant son soutien à la police. Mettre en avant son rôle historique, à savoir le maintien de l’ordre capitaliste et la protection des intérêts matériels de la bourgeoisie, n’était plus à l’ordre du jour. L’état d’urgence instauré au soir de la tuerie du Bataclan, marquait l’entrée en vigueur d’un usage frénétique des perquisitions nocturnes et d’assignations à résidence. Gare à ceux qui n’étaient pas Charlie ! Légitimées par l’alibi terroriste, les prérogatives élargies de la police furent immédiatement mises en pratique et testées, principalement dans les quartiers populaires1. L’État put aussi étendre son credo de la répression préventive de l’antiterrorisme au maintien de l’ordre, multipliant les interdictions préfectorales de manifester. Par ailleurs, les flics obtinrent le droit d’être armés en permanence, y compris hors de leurs heures de service. La BAC s’est vue dotée de fusils d’assaut HK G36. La Municipale fut aussi équipée d’armes de poing. Enfin, le renforcement de l’opération « Sentinelle » parachevait ce quadrillage militarisé des rues. Le paquet est mis sur la surveillance. Et la Loi Urvoas de juin 2016 a pérennisé certains des dispositifs issus de l’état d’urgence en matière d’investigation2.
Fin des miettes.
Le décor d’une ambiance de mobilisation générale était posé. « Nous sommes en guerre » lâche-t-on au sommet de l’État, l’épouvantail terroriste agité comme un pompon. Mais la priorité capitaliste est bien de nous écraser, de couper nos diverses allocations et baisser nos salaires. Finalité des lois Macron et El Khomri. Le taux de profit en dépend. Le durcissement des conditions de vie, la précarisation et l’appauvrissement qui en découlent, sont appelés à être gérés par la répression, de la police jusqu’à la prison3. « La révolte de ce prolétariat excédentaire, et donc dépourvu d’avenir, rencontre la forme la plus ouverte et brutale de la domination du capital : la police. La sortie de crise poursuivie par les capitalistes ne comprend pas cette population prolétarienne excédentaire, et c’est précisément cela qui fait que la police devient la forme générale actuelle du capitalisme. » (Blaumachen, « Le temps des émeutes a commencé », avril 2011) La principale menace que craignent l’État et les capitalistes, c’est bien une mise en mouvement incontrôlable des multiples catégories d’exploités, dans un contexte où il n’y aura plus de miettes à distribuer pour éteindre les feux.
« Nous militons pour qu’il n’y ait qu’une seule sommation avant de tirer, et que la loi s’applique quand les policiers ne sont pas en service. » Frédéric Lagache, syndicat Alliance.
Les syndicats de flics le vent dans le dos.
Pour assurer cette sollicitation, les policiers demandent des gages. Le permis de tuer en fait partie. Malgré quelques timides voix indignées, il a été adopté en accéléré. « Les policiers et les gendarmes n’ont de leçons à revoir de personne » menaça Bruno Leroux, ministre de l’Intérieur, la Loi de Sécurité Publique étant une promesse faite aux syndicats de flics au lendemain de l’attaque d’une voiture de police à coup de cocktails molotov à Viry-Chatillon. L’État a besoin de s’assurer la fidélité d’une police qui, sous l’impulsion de ses éléments les plus réactionnaires et racistes, a su surjoué la carte de la « haine anti-flic » pour faire pleurer dans les chaumières. Ils réclamaient de pouvoir taper plus fort sans se faire embrouiller par la Justice quand ils butent quelqu’un. La Loi de Sécurité Publique les autorise dorénavant, officiellement, à tirer quand « ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent » ou quand quelqu’un leur échappe. Situations aussi précises qu’élastiques, comme un air de Ley de Fuga4. Le durcissement des peines pour délit d’outrage, et de refus d’obtempérer, ainsi que l’anonymisation des actes de procédures (Art. 15-4) viennent compléter la palette. Cette anonymisation trouve aussi son application dans le maintien de l’ordre où de plus en plus de flics dissimulent leur visage. A celles et ceux qui en douteraient encore, non les policiers ne sont pas « des travailleurs comme les autres », et leurs revendications ne peuvent qu’entrer en pleine contradiction avec l’émancipation des exploités. Se solidariser d’eux et de leurs revendications revient à muscler le bras qui nous prodiguera une clé d’étranglement.
Rhéostat.
Mais cette augmentation de l’amplitude d’une impunité déjà bien généreuse5 n’a pas pour seul but de satisfaire les doléances policières. Elle correspond à un besoin de la bourgeoisie de réajuster sa doctrine répressive, tant dans la protection quotidienne de la propriété et de la marchandise, face à des prolétaires en lutte pour leur survie, que dans la gestion des mouvements de révolte. D’autant que comme l’a montré le récent mouvement contre la Loi Travail au printemps 2016, les syndicats en perdition ne sont plus en mesure d’assurer leur rôle de pacification des cortèges. Lors du mouvement du printemps dernier, l’usage de la violence de la police a monté d’un cran. Généralisation des tirs tendus des diverses grenades, recours massif au gaz lacrymogène dans une logique de saturation, hélicoptères en stationnement au dessus des cortèges. Il y eut un nombre de blessés sérieux inédit depuis au moins les luttes des années 70. La « présomption de légitime défense » intervient donc aussi comme un complément de ce nouveau curseur. Il y a fort à parier que désormais, c’est à ce type de violence que les manifestants devront faire face. Une circulaire de septembre 2016 entend optimiser l’inculpation massive de manifestants via un formulaire simplifié pour éviter les vices de procédure. En retour, le printemps 2016 a démontré une capacité collective certaine à inventer des outils et des pratiques d’auto-défense. Car, si tout le monde ne déteste pas la police, les prolétaires n’ont par contre aucun intérêt à l’aimer.
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Notes:
1Le bilan non-définitif est de plus 4550 perquisitions et de 612 assignations à domicile. Pour information, sur toutes ces actions effectuées dans le cadre de l’état d’urgence, seules 0,3 % ont mené à une mise en examen pour faits de terrorisme.
2La Loi Urvoas élargit les prérogatives d’investigation de la police : perquisitions nocturnes, surveillance et interceptions des connexions internet via IMSI Catcher, rétention des personnes fichées « S » sur le modèle des quatre heures de « vérification d’identité »…
3Le Ministre de la Justice Urvoas a promis la construction de 33 nouvelles prisons, soit entre 10 000 et 16 000 cellules supplémentaires. C’est aussi une promesse d’octobre 2016.
4La Ley de Fuga était employée en Espagne sur les prisonniers révolutionnaires ou les bandits sociaux. Il s’agissait d’une exécution déguisée. Le geôlier disait au prisonnier qu’il pouvait s’échapper et en profitait pour l’abattre d’une balle dans le dos. Le but était de faire croire que le prisonnier avait essayé de s’enfuir.
5Dans la très grande majorité des cas les crimes policiers sont assumés par l’État et blanchis par la Justice. Les rares fois où des flics sont condamnés, les peines sont des plus symboliques.