Nous commençons ici la publication d’un dossier au long cours, sur l’histoire du syndicalisme & du mouvement ouvrier. Sauf urgence, nous le publierons en feuilleton, les premiers et troisièmes jeudis du mois. Bonne lecture.
Pourquoi ce dossier ?
Depuis que le rapport salarial existe, c’est à dire bien avant le capitalisme, les salariés ont menés des luttes qui les opposaient à leurs patrons. Les premières grèves connues remontent à la construction des pyramides. On trouve aussi des récits de grèves en Chine antique, ou dans l’Empire romain. Ces grèves sont des manifestations de la lutte des classes, qui a existé bien avant qu’on lui donne ce nom. Mais il ne s’agit pas ici de faire une histoire des luttes. Ce n’est pas l’objet de ce dossier.
Une nécessité militante.
Alors que nos conditions de vies et de travail s’aggravent. Que de vastes offensives contre notre classe sont en préparation. Il nous paraît nécessaire de constituer des structures de liaison, de solidarité, d’autodéfense de classe.
Mais voyons, ces structures existent déjà, objecteront certains : ce sont les syndicats. Et ils auront raison, au moins superficiellement. Pourtant, aujourd’hui, les syndicats ne nous semblent pas les structures adéquates pour nous organiser. Cela ne signifie pas que nous soyons formellement opposés à l’adhésion à un syndicat. Simplement que nous pensons que le syndicalisme ne constitue pas une perspective révolutionnaire.
Et même, pour aller plus loin, que la structure syndicale n’organise et par voie de conséquences ne défend qu’une partie des exploités, laissant sur le côté les plus précaires. De ce côté là, les chiffres sont sans appel. Moins de 1 % des intérimaires sont syndiqués. Les syndicats de chômeurs sont inexistants. Les précaires n’ont aucune structure leur permettant de se retrouver. Sans parler des travailleurs non déclarés… Le taux de syndicalisation est en revanche élevé dans la police ou il avoisine le tiers. Il est élevé aussi dans le reste de la fonction publique, dans l’éducation nationale, ou encore dans les grandes entreprises issues du secteur public.
Bien sûr, ce sont les secteurs ou il est le moins difficile de s’organiser syndicalement. Et bien sûr, des tentatives sont parfois menées par telle ou telle centrale syndicale pour organiser les précaires.
Cependant, cela ne se traduit pas par beaucoup de résultats.
Par ailleurs, dans toute les directions ou se portent nos regards, en France, en Europe, ou dans le monde, partout le syndicalisme paraît profondément intégré au fonctionnement du capitalisme. De plus, même là ou de nouveaux syndicats émergent (( Comme le montre l’exemple de la Corée du Sud des années 80-90. Voir à ce sujet Loren Goldner, La classe ouvrière coréenne : de la grève de masse à la précarisation et au reflux, 1987-2007 .))des luttes, ils tombent en quelques années dans le compromis et la défense des travailleurs stables au détriment des trimards.
Cerner les limites, la nature du syndicalisme, afin d’en éviter les écueils.
Reste qu’une fois ces critiques énoncées, on n’est pas beaucoup plus avancé. On peut toujours trouver un autre nom à une structure, cela n’en changera pas la nature. « Si ça marche comme un canard, vole comme un canard, fait coin coin comme un canard, c’est un canard« , dit le proverbe.
Voici la nécessité militante de ce dossier. Cerner les contours, les limites, la nature du syndicalisme, afin d’en éviter autant que faire se peut les écueils. D’autres ont essayé avant nous, ont mené une critique du syndicalisme, tentés de le dépasser dans leurs pratiques de lutte. Nous leurs sommes tributaires. Nous consacrerons d’ailleurs plusieurs articles à ces tentatives. En attendant, voici déjà la première partie: l’émergence du syndicalisme.
Au commencement, il y a la contrainte.
La spoliation des biens d’église, l’aliénation frauduleuse des domaines de l’État, le pillage des terrains communaux, la transformation usurpatrice et terroriste de la propriété féodale ou même patriarcale en propriété moderne privée, la guerre aux chaumières, voilà les procédés idylliques de l’accumulation primitive. Ils ont conquis la terre à l’agriculture capitaliste, incorporé le sol au capital et livré à l’industrie des villes les bras dociles d’un prolétariat sans feu ni lieu.
K. Marx, Le Capital, Livre I Chapitre 27.
Lorsqu’on cherche à définir les prolétaires, on utilise le mot contrainte : on parle de « la partie de la population contrainte de vendre sa force de travail pour pouvoir acheter des moyens de subsistance« .
Contrainte pourquoi ? Déjà car l’immense majorité ne dispose pas des moyens de produire les ressources nécessaires à sa survie. Ensuite parce que si on tente de se procurer les marchandises dont on a besoin sans payer, on risque de se heurter aux forces qui défendent la propriété privée: police et cie.
L’histoire de la formation de la classe des exploités dans la société capitaliste, c’est l’histoire de cette contrainte ((On ne peut que conseiller de se référer au chapitre 26 à 33 du livre 1 du Capital, (dont on trouve une citation en début de page) sur la question de l’accumulation primitive. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il s’agit d’un passage relativement facile à lire. Le problème du Capital c’est que le premier chapitre est le plus dur. Ce n’est pas le cas de nombres d’autres passages du livre.)), par laquelle tout commence.
« Vos vies valent moins que nos moutons. » Un aristocrate anglais anonyme.
En premier lieu, on trouve l’expropriation massive des paysans. Le phénomène à été particulièrement terrible en Angleterre. Les terres collectives sont privatisées par les grands propriétaires. Ils y font paitre des moutons, qu’ils élèvent pour la laine. En quelques dizaines d’années, une masse énorme de paysans est privée de tout moyens de subsistance et doit quitter la campagne. Elle ne trouve à vivre qu’en s’embauchant à des prix dérisoires pour les filatures((On donne ici l’exemple de la laine, mais on peut en trouver d’autres. Cependant l’une des premières industries qui se développe c’est le textile: une industrie particulièrement cannibale, demandant peu de machine, beaucoup de main d’œuvre)). Mais les conditions de travail y sont horribles. Alors ces nouveaux ouvriers et ouvrières fuient, se font vagabonds.
Les possédants ne l’entendent pas ainsi. Les lois condamnant le vagabondage se succèdent. Elles promettent les personnes errantes à la torture, à l’emprisonnement, à l’esclavage et même parfois à la mort.
Quand on a pas le choix de fuir, ne reste que la lutte.
Les sociétés d’entraides, en cas d’accident du travail, deviennent des lieux d’organisations de grèves, de luttes collectives. Les capitalistes répondent par une répression féroce. Ils interdisent les coalitions, tout cadre d’entraide collective des ouvriers.
Les débuts du capitalisme sont marqué par une situation de prédation sociale. Les travailleurs et travailleuses sont payés en dessous du minimum nécessaire pour vivre. On exploite les enfants au point d’en tuer une partie.
Les capitalistes doivent pourtant se rendre à l’évidence : la main d’œuvre n’est pas docile, ni inépuisable. On ne peut pas crever tout le monde à la tache, d’autant que les ouvriers ne se laissent pas tuer sans réagir. La première partie du 19e siècle est pleine d’explosions sociales ou les ouvriers et ouvrières préfèrent mourir debout que vivre à genoux.
Le capital est forcé d’admettre qu’il a besoin du prolétariat pour produire.
Cette reconnaissance (qui ne veut pas dire bienveillance, loin de là) arrive avec un certain niveau de développement du capitalisme. Aussi il est assez logique qu’en Angleterre, première nation capitaliste, le droit de coalition et de grève soit acquis dés 1825, bien que durement contesté.
Les premiers syndicats voient le jour…
Comme dans n’importe quel cartel visant à défendre les intérêts des vendeurs de telle ou telle marchandise, il s’agit pour les ouvriers de s’associer pour vendre la seule marchandise qu’ils possèdent, leur force de travail, au meilleur prix.
Dans une société fondé sur le deal : « je loue ta force de travail, tu m’appartient pendant le temps ou je t’ai payé », négocier le prix, dire, « OK mais je veut être payé 10 euros de l’heure » revient aussi à accepter le deal.
Pourtant, de nombreuses voix, au sein même des syndicats, s’élèvent pour dire : « dans ce genre de deal, on se fait toujours avoir à la fin. Il faut en finir avec cette société toute entière. »
Cette contradiction va traverser l’histoire du syndicalisme. Ce sera aussi le fil rouge de ce dossier. Prochainement, la naissance de la CGT.