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Nouvelle : « La Valeur »

Un peu de littérature prolétarienne ne fait pas de mal. Aujourd’hui on vous propose une courte nouvelle, chipée dans un vieux numéro du Chat Noir, journal local du groupe rémois de l’Organisation Communiste Libertaire.

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Chez Dunant, dehors ça pèle, mais à l’intérieur il y a de l’ambiance. Il faudrait compter les bouteilles de Jeanlin, diviser par quatre et multiplier par douze, pour connaître un peu près le nombre de types qui gueulent dans le petit troquet. Si ça crie, c’est pour la bonne cause, préparer le vote du lendemain et savoir si le syndicat doit se réjouir ou se morfondre de l’éventuelle poursuite de la grève.

L’heure est grave et surtout tardive. Les prises de parole sont peu a peu devenues des prises de bec. Les grèves dures créent du tragique, et ont l’avantage de faire ressortir la parole. Aux Fonderies, la grève dure depuis 10 jours. Depuis l’augmentation imprévue des métaux non ferreux, la production s’est accélérée, le rendement aussi mais les salaires, pas du tout. Dix jours de luttes, de piquets et de feux de palettes, on n’avait pas vu ça depuis longtemps. Dix putains de jours ! Et ça en faisait deux que les CRS et les gardes mobiles étaient dans les parages, avec sous la visière, leurs sales airs «d’attendez qu’on nous donne l’ordre.» Le mouvement, on n’est pas encore théoriquement à la fin.

Quand le terme approche, il y a vote tous les matins. Pour l’instant, ce n’est que tous les trois jours, donc, par expérience, il faut s’attendre à ce que la grève dure encore au moins une semaine. Même si les ouvriers sont fatigués, même s’ils savent bien qu’ils ne pourront pas tenir encore bien longtemps.

Pour l’instant, aux yeux des observateurs, des stratèges, des journaflics, des modérateurs, tous ces vautours qui dissèquent les événements dans les médias, les patrons ne lâcheront rien, car leurs actionnaires s’en foutent, tant que d’autres prolos, un peu plus loin suent toujours autant sous le burnous. Et les grévistes d’ici savaient parfaitement que si jamais ils gagnaient, eh bien six mois après, en punition, ils auraient droit à un dégraissage géant. De nos jours, signe des temps, les patrons ne s’emmerdent plus à négocier, ils délocalisent direct.

Alors pour les syndicalistes présents, c’est-à-dire pour des responsables qui se font légèrement déborder par la base, il faut tout faire pour éviter le pire. Question de responsabilité. Donner l’impression d’obtenir quelque chose d’important tout en sachant que l’essentiel, la valeur du travail, part de plus en plus en couilles. Mais, par honnêteté, ils feront tout pour que dix jours de grève servent au moins à ne pas regretter d’avoir fait grève, et supputant vaguement qu’ils n’obtiendront que dalle, ils n’exigent plus qu’une chose : le paiement des jours de grève. Un cas kafkaïen. Certes la frange la plus dure, la plus radicale des grévistes prendra ça pour une défaite. Les autres, on arrivera bien à leur expliquer que, s’ils n’ont rien gagné, ils n’ont rien perdu, et même, avec un peu de cynisme et une bonne dose de langue de bois, qu’ils ont eu des vacances inespérées.

Faire passer tout ça allait être coton. Mais les syndicalos avaient l’habitude. Et en plus ils n’avaient pas le choix. Tant que le nombre de syndiqués baissait, ça serait comme ça. Il fallait le répéter tout le temps et à tout le monde. On ne déclare pas la guerre à dix. Même le président Mao avait compris ça.

Chez Dunant, ils en étaient à choisir les mots d’ordre, ceux qui paraîtraient les plus radicaux possibles mais surtout les plus crédibles et ça gueulait a fond. Gueuler ça réchauffe toujours.

C’est à ce moment qu’entrât l’engeance, la bande à Tuné.

Tous les syndicalistes les connaissaient, ils avaient tous un fils, un copain du fils, un neveu ou une vague connaissance dans cette quinzaine d’ados au regard noir et à la démarche chaloupée, célèbres dans le coin, des bars aux commissariats, du supermarché aux éducs du quartier. Des irrécupérables, on en racontait des trucs sur eux. Et même si chacun pensait qu’il leur manquait une case, chacun était étonné que cette bande de malfaisants ait pu grosso merdo passer entre les mailles d’une répression tout azimut. A tel point que certains les soupçonnaient de collusion.

Le fils pourtant affichait un bon pedigree, le père avait été un des grands responsables du Syndicat, au regard aussi clair que son discours, avant qu’un accident de voiture à fort taux de pastaga l’empêche de décevoir ses ouailles. Mais le môme Tuné avait, mystère des temps, viré à la délinquance organisée. Beaucoup disaient que c’était à cause d’un manque de neurones. D’autres pensaient qu’il avait viré extrême anarchiste, du genre le couteau entre les dents et après nous le bordel.

Les premiers étaient certains que ses capacités mentales ne lui permettaient pas de comprendre des mots comme société ou travail, les autres pensaient que la société et le travail justement il voulait la détruire, radicalement, au baston.

Bref on s’évitait, on s’ignorait, même.

La bande d’encapuchonnés se rangea tout le long du comptoir comme dans un mauvais western, tournant le dos aux syndicalistes, sauf Tuné, qui les coudes appuyés au zinc, leur faisait face, un mauvais sourire aux lèvres.

Et quand l’un des syndicalises en chef parla du travail comme d’un bien humain et d’une obligation morale, le jeune ricana bêtement.

Albert Berloux, que l’on considérait un peu comme l’oncle lointain du chef de bande, se leva, propulsé par cette énergie que donnent la bière, la présence des copains, la certitude d’avoir raison et l’habitude de parler aux jeunes crétins de tout bords.

Évidemment toi le travail, c’est une idée qu’a pas réussie à te rentrer dans le crâne, hein ! Tu préfères te servir sur ce que gagnent les autres à la sueur de leur détresse.

Tuné se marra encore plus.

Quoi, le travail ?

Ouais, le travail. C’est le travail qui donne à l’homme sa dignité.

Quelle dignité ? Celle de l’esclave ?

Mais non pauvre asticot, la dignité de la liberté!

Les syndicalistes approuvèrent. C’était comme ça qu’il fallait parler. Même si la teneur philosophique de tous ces termes ne risquait pas de pénétrer jusqu’au cortex de ce petit con.

Tuné se déscotcha du zinc et fit deux pas en avant, le doigt tendu :

Je vais t’dire un truc Berloux. Moi j’ai jamais demandé à venir au monde. Et si j’y suis au monde, ce n’est pas pour crever la gueule ouverte. On me doit, t’entends ? ON ME DOIT le droit de vivre. Ou même si tu veux de survivre. Et si j’ai pas envie de travailler, c’est pas pour ça que je dois mourir de faim. J’ai rien demandé, moi.

Comment tu peux dire des conneries pareilles. Si ton père t’entendait…

Laisse mon vieux cuver là où il est, au moins lui, il ne m’a jamais farci.

Eh ben il aurait du. Ou alors il savait bien, ce brave homme ce que tu ne pouvais pas comprendre.

Et toc. Reprise de volée. Un a zéro. La balle au centre. Le bretteur syndical avait marqué un but et avant les prolongations en plus. Ses supporters soupiraient d’aise et se préparaient à reprendre leur conférence, maintenant que le petit et méchant con s’était fait calmer.

Mais Tuné, la gueule fendue jusqu’aux oreilles, fit un pas de plus.

Les gars , j’vais vous dire un truc. Moi, Marx, je connais. J’ai lu. Pas vous. Tant que vous confondrez la valeur d’échange et la valeur d’usage, tant que vous n’aurez pas pris en compte la baisse tendancielle du taux de profit, vous l’aurez dans l’os, bien profond et vous continuerez à vous noyer dans vos illusions et dans l’alcool. Et toi, Berloux, t’auras toujours la berlue !

Et, sur ce, il claqua des doigts. Et la petite troupe de présumés coupables se dirigea en ordre, vers la sortie, dans un silence lourd d’interrogations. Dunant, derrière son comptoir, nettoyant un verre avec nervosité, regarda Albert. Il a dit quoi ? La baisse de quoi ?

Le lendemain, le Syndicat n’a pas réussi à imposer le vote à main levée. Et après un tour à bulletins secrets, la reprise du travail a été adoptée. Le soir, aux informations régionales, on fit voir la tronche visitée par la grâce du PDG des Fonderies, Monsieur Jean Denoots, qui saluait la responsabilité de ses collaborateurs, que la raison avait gagnée, que bien sur il comprenait la fracture sociale et qu’il ferait tout pour que son entreprise deviennent un modèle d’équité, de responsabilité et of course de compétitivité, la preuve, ses employés connaissaient la valeur du travail et avaient décidé de la protéger.

Plouf, plouf.

Deux jours après en sortant de sa Merco qu’il venait de garer en plein centre de Charleville, pas loin de la place Ducale, Jean Denoots fut assassiné de deux coups de revolver.

On ne retrouva pas l’assassin.

On ne retrouva pas la paix.

Mais on retrouva, jusqu’à plus soif, la parole.

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