La période de près de vingt ans qui sépare la création de la CGT de la première guerre mondiale sera l’apogée du Syndicalisme Révolutionnaire (SR). Cette tendance, qui va rapidement prendre la direction de la CGT, y impulse une logique beaucoup plus combative qu’en Allemagne. Pour les SR, l’objectif c’est la révolution, et pas dans mille ans : le plus tôt sera le mieux.
Pour les syndicalistes révolutionnaires, pas besoin de chercher bien loin : tous les outils qui permettent de gérer la société sont là, sous le capital. Le syndicat, qui a vocation à rassembler les travailleurs, en étant présent dans toutes les entreprises, pourra assumer la relance de la production. Le mouvement ouvrier, par ses différents outils ( mutuelles, bibliothèques, association sportive, etc etc) est quand à lui l’embryon de la future société.
Le syndicat et son monde.
Cette position politique est renforcée par le développement de tout un contre monde ouvrier, impressionnant par son ampleur. Nous l’écrivions dans un précédent article de cette série, ce contre monde, s’il permet aux ouvriers de vivre moins mal, mais aussi de construire et ressentir entraide et solidarité de classe, est pourtant à l’image du monde capitaliste. Il en constitue un reflet. Ainsi, chaque mode d’organisation (en tant que consommateur, travailleur, etc) est à l’image de ce que nous sommes sous le capital.
S’il produit une union sans cesse grandissante des travailleurs, c’est dans le cadre de la société capitaliste. En fin de compte, cela participe d’une tendance générale de cette période : celle de l’intégration du mouvement ouvrier dans le capitalisme. Celui-ci, dans ses zones d’accumulation centrale, est en pleine expansion.
Pour autant, les SR sont en partie conscients des risques de cette intégration. Mais ils ont plutôt tendance à la percevoir comme une arnaque impossible plutôt que comme une vraie perspective.
Ainsi, ils vont s’opposer au projet de loi de 1909 sur les retraites ouvrières, embryon de système de retraites, en arguant qu’il s’agit finalement de payer pour les morts. Ils affirment que jamais les ouvriers n’arriveront (sauf exception) a vivre assez vieux pour toucher la retraite, et la baptise pour l’occasion « retraite des morts ».
La grève générale comme outil révolutionnaire.
Pour mener à bien leur stratégie révolutionnaire, les SR et la CGT de l’époque misent sur la Grève Générale. Celle-ci est un des grands sujets de débats de l’époque. Elle représente pour ces syndicalistes l’affirmation du pouvoir de la classe ouvrière, de la façon la plus simple qui soit. Il suffit de croiser les bras, de ne pas aller travailler, pour que la société tout entière s’arrête de fonctionner. Ça, c’est pour le topo rapide. Et concrètement, cette perspective est prise très au sérieux par la CGT, au sein de laquelle les SR organise même des comité de préparation de la grève générale, chargé d’organiser le ravitaillement, l’organisation pratique.
En 1906, après un an de battage, de préparation politique, la CGT franchis le rubicon, et lance une grève générale a partir du 1er mai. Pour la journée de 8 heures. Cette tentative est un échec relatif. La large mobilisation, n’a pas débouché sur le mouvement révolutionnaire attendu ni obtenu gain de cause.
Cela marque le début d’un déclin partiel de l’influence des SR.
Parmi les nouvelles recrues du syndicalisme, beaucoup ne partagent pas les idéaux syndicalistes révolutionnaires. Comme on l’a vu pour l’Allemagne, ils vont privilégier les gains possibles dans le cadre du capitalisme a son dépassement révolutionnaire.
Le couperet tombe finalement lorsque, à l’enterrement du socialiste J.Jaurès, le jeune dirigeant syndicaliste révolutionnaire L. Jouhaux se range du côté de l’union sacré. La perspective d’opposer la grève générale à la guerre s’effondre.
Une trahison incompréhensible?
Malgré une orientation politique radicalement différente sur le principe, les mêmes causes, vont dans les deux pays provoquer les mêmes effets : le ralliement du mouvement ouvrier au côté de sa bourgeoisie nationale dans la guerre. Du point de vue des militants qui encore aujourd’hui se reconnaissent dans le syndicalisme révolutionnaire, cette prise de position est souvent vue comme une trahison incompréhensible. Pas pour nous.
Commençons par rappeler que cela ne signifie pas que l’orientation politique des SR fut sans influence sur la lutte des classes. D’ailleurs, les pratiques du syndicalisme révolutionnaire vont durablement marquer la physionomie des luttes en France et sont encore perceptibles de nos jours.
Mais ce qui semble incompréhensible du point de vue des SR est pour nous assez clair : dans cette période ou le capital avait la capacité d’intégrer sa contestation, de concéder des augmentations, une reconnaissance, etc, le mouvement ouvrier n’était pas le mouvement de l’abolition du capital, mais d’abord celui de la vente au meilleur prix de la force de travail. Nous l’avons dit, il existait pourtant de fortes résistances à l’intégration capitaliste. Mais le deal de départ en se plaçant sur le terrain des capitalistes, rentrait en contradiction fondamentale avec la perspective d’abolition du salariat. La contradiction fut tranchée au profit du capital.
Et ce deal, les ouvriers l’ont payé au prix du sang.
Dans nos prochains articles de cette série, nous parlerons du changement de période capitaliste, de l’intégration des syndicats, de 1936 et des résistances au travail.