La question de la sélection à l’entrée à la fac n’est pas nouvelle. Régulièrement elle revient sur le tapis. Bien sûr, c’est un jeu de dupes : la sélection existe depuis longtemps. Voyez vous même, prenez votre smartphone ou votre pc, tapez « origine sociale des étudiants », vous verrez. Pas la peine d’insister, d’autant que cette donnée est déjà assez largement connue. Mais si la sélection existe déjà, quel est l’enjeu de ce type de réformes ? Et que signifie refuser la sélection ? Et enfin, quand est-ce que les universités seront bloquées?
Reprenons les faits sur lesquels nous sommes d’accord. Il existe déjà une sélection de fait à l’université. La masse des enfants d’ouvriers, d’employés, de paysans pauvres, n’y accède pas. Il ne s’agit pas ici de faire un cours de socio, alors on passe les détails. Mais revenons sur le « péché originel », celui qui traverse tout le rapport à la scolarité : l’échec scolaire. Sur les plateaux télé, dans les journaux, partout ou il est possible de d’écraser publiquement quelques larmes de crocodiles, les politiciens, expert et autres bourges font mine de s’affliger de l’échec scolaire. Ce serait un fléau, il faudrait venir en aide aux enfants et bla bla bla. Pourtant, on ne va pas tous devenir astronautes, non ? Ou banquiers, ou chirurgiennes.
L’échec scolaire, c’est du mytho.
L’échec scolaire n’existe pas plus que la réussite scolaire. Il n’y a que de la reproduction. Il faut bien former les millions d’ouvriers de demain, les millions de livreurs, de secrétaires, de galériens de toutes sortes. Mais l’idéologie de l’échec et de la réussite remplit un rôle bien précis. Elle permet de faire rentrer dans le crane des ouvriers, des prolétaires de toutes sortes, que s’ils sont là, en intérim, à faire encore et encore la même tache répétitive surveillé par un petit chef aigri qui gagne 40 euros de plus qu’eux par mois, ce serait de leur faute. Qu’ils auraient pu « mieux travailler à l’école ». De l’autre côté, la « réussite scolaire » va mettre dans la tête des cadres de demain, qu’ils méritent leur situation, qu’après tout ils ont bossé a l’école, etc. On ne parle même pas des fils de bourges…
Derrière ce double mytho, il y a donc a la fois un impératif, celui de reproduire la société de classe, maintenir l’exploitation et un effet de propagande : nous faire croire que cela dépend de nous.
Lutter contre la sélection ? Vraiment ?
Revenons aux questions posée plus haut. Si, comme nous l’avons vu, l ‘ensemble du parcours scolaire n’est qu’une vaste sélection, en fonction des besoins de main d’œuvre, une machine a broyer la marchandise que nous sommes pour la dispatcher ci et là… Alors à quoi sert cette réforme ? Tout simplement à durcir les conditions de sélection. On enfonce des portes ouvertes en disant cela. Mais c’est pour mieux préciser les enjeux. Celles et ceux qui crient à la défense de l’université, qui haut et fort crient refuser la sélection… Sont aveugles ou le font exprès.
L’enjeu pour eux, n’est pas la lutte contre la sélection : elle est déjà là. Il s’agit plutôt de refuser une sélection supplémentaire. Et la concurrence accrue que celle-ci suppose, entre étudiants.
Alors, on vous propose de lutter en tant qu’étudiant, contre cette réforme précise. Non pas contre la sélection, hein, soyons sérieux : contre cette sélection là. Le problème, c’est que lutter en tant qu’étudiant, de nos jours, ce n’est pas une évidence.
Lutter en tant qu’étudiants ?
Il fut un temps pas si lointain, ou les mouvements étudiants étaient réguliers, nombreux, massifs.
Ces quelques années, grosso-modo en France entre 2003 ( réforme LMD) et 2013 (Fioraso), virent se succéder les luttes sur les universités. Comme dans de très nombreux pays du monde, il s’agissait de défendre un deal : en échange de mes études, peut-être vais-je devoir m’endetter pour les faire, mais qu’importe, a la fin, j’aurais un travail mieux payé, moins chiant que si je n’avais pas été à la fac. Et c’est sur la base de la défense de ce statut, que se produit une certaine unité entre les étudiants.
Cette unité se caractérise par des assemblées étudiantes ou l’on vote ensemble le blocage ou sa levée, on on discute « démocratiquement » sur la base d’un commun qui est celui d’être étudiant. Elle a été une dynamique importante. Mais elle s’est aussi révélée un carcan, un piège pour le mouvement. Car celui-ci a été vaincu. Année après année, il s’est écrasé sur le mur de la répression, dans une relative indifférence de la population, comme des vagues meurent sur des rochers muets. Car lutter uniquement sur la base d’un statut, c’est s’exposer aussi à la solitude. Et cela est d’autant plus difficile à tenir qu’au sein des étudiants, plusieurs fractions coexistent, aux intérêts et opinons divergentes.
Les étudiants contre la lutte.
Ainsi, à côté de celles et ceux qui voulaient que les étudiants luttent ensemble pour leur statut, d’autres voulaient s’en sortir… Par les études, ben tiens. Après tout, être étudiants signifie étudier, non ? Alors sont réapparu les anti-grévistes. Et en quoi seraient ils moins légitime que les autres du point de vue d’une lutte étudiante « démocratique » ?
C’est la conjonction entre ces différents facteurs : le répression policière, l’apparition des anti-grévistes et enfin une certaine indifférence de la dite « opinion publique » qui ne comprenaient pas pourquoi les étudiants ne voulaient pas étudier, qui a produit la défaite. Une défaite qui pollue encore les luttes des étudiants actuelles.
La dynamique actuelle.
Aujourd’hui, les luttes étudiantes font bien moins recettes que hier. Pourtant, un certain nombre d’organisations fossilisées s’échinent à reproduire un modèle qui tourne à vide, quitte a tuer dans l’œuf tout dépassement.
Mais au-delà des manœuvres dérisoires de quelques apprentis gestionnaires, on peut se laisser à imaginer une certaine ouverture des possibles. Derrière la lutte dite « contre la sélection » il y a la question de notre futur dans cette société. Disons le tout net, il s’annonce catastrophique. Que l’on soit ouvrière, employé, chômeur, qu’on soit passés ou non pas l’université. Se cacher derrière son statut comme derrière son petit doigt ne changera rien : en revanche, dés demain, faire de l’université un lieu (parmi d’autres) d’une vaste mobilisation de classe est autrement plus enthousiasmant. Bien sûr, cela nécessite déjà de faire exister la lutte, de se donner du temps, et donc bloquer les universités. Alors il y aura matière à aller plus loin.
Combien d’étudiants sont livreurs à vélo ? Serveurs et serveuses, confrontés à une clique de petits patrons qui ne paient pas les heures sup’, qui nous traitent comme des chiens ? Et pourquoi ne pas aller voir les caissiers et caissières de carrefour, qui sont en train de se manger un sale plan de licenciement ? Sans parler de la réforme des allocs chômages, alors que ne nous leurrons pas c’est ou se sera le lot commun de quasiment tout le monde à un moment ou un autre. Bref, tout reste à faire…
Mais le printemps arrive et le camarade soleil brille pour celles et ceux qui bloquent.
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