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Comment l’extrême droite a pris d’assaut Internet

L’extrême droite a su atteindre un caractère de masse non pas dans la rue, mais dans une grande communion de planqués derrière leur écran qui déversent leur bile et leur haine. Un petit décryptage des ressorts de la fachosphère…

Toute personne passant un peu de temps sur les réseaux sociaux l’aura remarqué : l’extrême droite y est omniprésente. Blogs, forums, commentaires et surtout réseaux sociaux tels Facebook, Youtube et Twitter sont submergés par des centaines de milliers de messages allant des théories les plus farfelues aux appels à la haine et aux insultes.

La présence de l’extrême droite sur internet est démesurée par rapport à son poids réel dans la société. Ce courant politique en a fait un axe de communication, censé compenser la mauvaise presse qu’il aurait dans les médias. L’extrême droite s’appuie ainsi sur un troisième territoire en plus du local et de l’international : le numérique, qui présente une grande perméabilité aux idées fascisantes, plus particulièrement sur les réseaux sociaux que les américains appellent de manière plus exacte « médias sociaux ».

Par ailleurs, l’une des différences entre l’extrême droite de nos jours et le fascisme historique repose sur le nombre de militants. Les partis nazis et fascistes étaient des organisations de masse comptant des centaines de milliers voire des millions de personnes dans leurs sections, milices et organisations satellites.

Ce n’est pas le cas de l’extrême droite de nos jours. Ainsi en France, sa base militante est assez réduite. Les groupuscules fascistes comptent au mieux quelques milliers de militants. De même le Front National ne revendique que 57 000 adhérents à jour de cotisation en 2016, un chiffre surestimé et bien loin des millions d’électeurs le soutenant à chaque scrutin. De plus, tous ces adhérents ne sont pas forcément des militants actifs, ce qui fait que le FN a des difficultés à entretenir une présence de terrain sur l’ensemble du territoire, et a bien souvent recours aux militants d’autres groupuscules tels que les Identitaires…

Internet revêt donc une importance particulière pour l’extrême droite qui parvient sur ce territoire virtuel à recruter massivement, ce qu’elle ne parvient pas à faire sur le terrain. Si le caractère de mobilisation permanente des masses se rencontrait dans les années 1930 durant les défilés aux flambeaux et l’enrôlement massif dans les milices, il semble avoir retrouvé à notre époque son équivalent sous la forme d’un courageux engagement derrière son écran dans les rangs de la fachosphère…

Ce phénomène a produit un nouveau vocabulaire, employé par ce que l’on appelle désormais la « fachosphère » – c’est-à-dire l’ensemble des sites et des commentateurs reliés à l’extrême droite. Pour eux, leurs opposants seraient des « bobos », des « sionistes », des « gauchiasses » ou des « mondialistes », les journalistes deviennent des « journalopes » à la solde des « merdias », le milieu associatif serait « collabo », etc. Ce vocabulaire en dit long sur la fachosphère, qui se caractérise par son extrême violence verbale, allant jusqu’au « troll », c’est-à-dire à la provocation volontaire dans le but de faire réagir. Notons aussi les retournements de sens : les néofascistes deviendraient de nouveaux résistants, alors que les antifascistes seraient des fascistes de gauche ou des collabos.

Les codes d’internet

Pour autant, l’extrême droite a bien assimilé les codes propres à internet, ce qui permet à ses différentes composantes de développer des stratégies de communication très efficaces. Celles-ci permettent de s’adresser à une partie de la population insensible à la propagande politique traditionnelle, notamment dans la jeunesse des campagnes et des périphéries urbaines. En s’appuyant sur des communicants professionnels et des commentateurs très réactifs, les organisations d’extrême droite sont parvenues à agrandir rapidement leur audience en adoptant une démarche de pionniers. Le format vidéo ou l’emploi de blogs thématiques ont par exemple été utilisés à fond. Nous pouvons distinguer plusieurs moyens employés de manière complémentaire pour obtenir une audience maximale :

D’une part, la mise en place de sites à forte audience : Parmi les plus connus, nous pouvons citer Fdesouche (lié au Front National) , Novopress (500 000 visiteurs uniques par mois, lié au Bloc Identitaire), ou encore Egalité et Réconciliation, le site d’Alain Soral qui se situe au niveau d’un site professionnel tel qu’Atlantico. Ces sites sont tous mis à jour très régulièrement. Ils se rapprochent de sites professionnels et de par leur audience et leur qualité technique.

D’autre part, une stratégie du coucou sur les sites d’actualité tels que le site du Monde, Youtube ou certains quotidiens régionaux. Les militants nationalistes utilisent les commentaires sur les sujets « stratégiques » comme la délinquance ou l’immigration afin d’occuper le terrain et de gagner en notoriété. On assiste au développement de stratégies assez élaborées, comme par exemple ces faux commentaires de « racailles » censés provoquer les commentaires racistes.

Enfin, on constate aujourd’hui une forte présence des nationalistes sur les réseaux sociaux tels Facebook ou Twitter qui sont pour eux des outils de recrutement et de mobilisation. On note un usage massif de fausse rumeurs qui se répandent comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux et font ainsi le « buzz », donnant plus d’écho à leurs idées. Parmi des milliers d’exemples, on peut citer la rumeur de l’accident de Brettigny lors duquel des « racailles » auraient dépouillées les cadavres ou encore la rumeur lancée par Farida Belghoul sur l’enseignement de la théorie du genre ayant entrainé des journées de retrait de l’école.

Une surabondance

Cette surabondance s’explique aussi par l’anonymat relatif existant sur internet, qui permet de déverser un discours bien plus difficile à assumer dans la rue. Ce qui a pu conduire à des déconvenues : ainsi, les manifestations appelées par certains groupes activistes tels que les Identitaires ou la Dissidence ont souvent été des flops monumentaux, rassemblant généralement quelques dizaines de sympathisants. Même en étant massivement relayées en ligne, ces initiatives ratées montrent qu’il est encore difficile de passer d’un militantisme virtuel à une prise de risque physique, et que la masse virtuelle peine à se transformer en force militante…

Si elle est très fragmentée, la fachosphère se structure autour d’une opposition à différentes thématiques. Des néonazis, des libéraux conservateurs, des complotistes et des sionistes antimusulmans peuvent se retrouver sur des campagnes communes, le débat de fond passant au second plan. Ces campagnes s’organisent sur le modèle du lobbying, saturant les espaces de discussion « neutres » de messages identiques, harcelant et diffamant les opposants du projet nationaliste.

De Sniper à Black M, les rappeurs jugés « antifrançais » ont par exemple été harcelés par des campagnes identitaires visant à faire annuler leurs concerts. Il en va de même pour les journalistes trop critiques ou pour les youtubeurs progressistes. Les réseaux sociaux sont quant à eux saturés de fausses informations, appelées « hoax », relayant des rumeurs racistes pour entretenir une atmosphère de quasi guerre civile. Il est très difficile de tenter de rétablir la vérité face au partage massif de ces fausses informations. A tel point que certains médias s’inquiètent, ces « fake news » ayant marqué la campagne présidentielle américaine de 2016 puis les élections françaises de 2017.

De par ses codes simples d’accès, ses blagues de mauvais goût et sa capacité à jouer sur les émotions et sur les peurs, la fachosphère a acquis un poids considérable sur internet, façonnant une partie de l’opinion et imposant ses thématiques. Grâce à certaines personnalités en vue comme Eric Zemmour ou Marion Maréchal Le Pen, elle a pu tisser des ponts avec les déçus de la droite libérale, et prétendre à l’hégémonie culturelle.

Il s’agit d’une tendance de fond s’appuyant sur un discours médiatique anxiogène et une actualité saturée par les questions sécuritaires. Mais une contre-hégémonie essaie aujourd’hui de se développer : les dernières années ont bien heureusement vu apparaître une série de blogs, de chaînes Youtube et de médias indépendants produisant un discours d’émancipation sociale, et déconstruisant méthodiquement les mensonges de l’extrême droite.

L’extrême droite, sans parvenir au pouvoir, depuis quelques années exerce une importante influence sur la vie politique en France et en Europe. Chasse aux pauvres sous couvert de lutte contre l’insécurité, violences policières légitimées et exacerbées, panique morale vis-à-vis de l’Islam, état d’urgence, tentatives de mettre en place la déchéance de nationalité… Toutes ces politiques ont un point commun : être nées dans les esprits de l’extrême droite, et sont devenues la norme. Cette série d’articles extraits du livre « Temps obscurs, extrême droite et nationalisme en France et en Europe », écrit par des contributeurs au site 19h17.info et du blog Feu de prairie, ont pour objectif de mieux comprendre ce retour en force et le danger qu’il implique pour nous.

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Un commentaire

  1. Merci pour vos articles toujours très intéressant

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