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Comment sans même arriver au pouvoir, l’extrême droite a acquis une influence démesurée

Les grands partis d’extrême droite, sans parvenir à gouverner ont appris à structurer la vie politique, acquérant au passage une influence délétère sur la gestion du capitalisme néolibéral en Europe… Nous allons aborder cette influence par l’exemple français…

Ainsi, l’extrême droite dans son ensemble a acquis une forte influence idéologique sur la vie politique française. De nombreux concepts et catégories de pensée forgés par l’extrême droite sont ainsi devenus des lieux communs que peu de critiques oseraient remettre en question, sous peine de paraitre laxiste ou complaisant avec le terrorisme.

En France c’est le GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), fondé en 1969 par Alain de Benoist, qui est le précurseur de cette tendance. Ce groupe s’inscrit dans une perspective inspirée d’Antonio Gramsci, pourtant marxiste. Selon cet auteur, pour prendre le pouvoir politique, il faut d’abord conquérir l’hégémonie idéologique, c’est-à-dire faire en sorte que les débats se mènent sur le terrain des idées que l’on défend et imposer sa grille d’analyse de la société.

Si heureusement les idées de l’extrême droite ne sont pas toutes devenues hégémoniques en France, certaines sont désormais des lieux communs qui imprègnent la communication politique de la plupart des grands partis.

C’est par exemple le cas de la question de l’ « insécurité » : L’extrême droite ne cesse de politiser la petite délinquance, en croissance à partir de la fin des années 70. Sans être les seuls promoteurs du sécuritaire, le FN invente le triptyque du discours nauséabond que nous connaissons sur le sujet de l’insécurité. Il commence par monter en épingle l’augmentation (réelle ou non) de la délinquance et de l’insécurité. Une fois cette croissance dénoncée, il l’attribue à deux responsables : les prolétaires immigrés, de préférence maghrébins, et le laxisme des autorités en place, de préférence socialistes. Enfin, une fois ces responsables pointés du doigt, il n’hésite pas à appeler à une surenchère de mesures sécuritaires et autoritaires : plus de flicage, plus de répression et plus de mesures racistes.

Une autre thématique qui a fait des ravages dans la société est celle du racisme « culturel ». Auparavant le racisme était lié au sang et à la « race biologique ». Après la seconde Guerre mondiale, et avec la décolonisation, ce type de racisme est déconsidéré et devient inadmissible. Il est même pénalisé dans plusieurs pays d’Europe. Dans le sillage du Grece, un nouveau racisme culturel est créé. Les peuples sont vus comme un ensemble culturel et racial : les maghrébins et plus largement les arabes sont assimilés à l’Islam. Cette forme de racisme contourne les lois pénales. Il favorise aussi l’amalgame. Ainsi, il est devenu commun de désigner toute personne perçue comme d’origine arabe comme « musulmane ». Ceci permet de passer sous silence le fait que les sociétés du Maghreb et du Machrek sont plurielles : des chrétiens y vivent, mais aussi des Juifs, des yezidis, ou des athées, qui disparaissent des esprits, éclipsés par l’assimilation de l’arabe au « musulman ». Cette assimilation permet aussi une déformation vicieuse. A l’Islam sont associées ses pratiques les plus rétrogrades, alors qu’elles sont ultra minoritaires parmi les pratiquants : burqa, excision, lapidation, charia… Enfin, ce raccourci permet aussi d’associer djihadisme et terrorisme à l’Islam. Il convient de noter que cette manière de voir dépasse très largement l’audience de l’extrême droite et  imprègne les représentations de nombreux pans de la population française.

Une autre thématique devenue commune est celle du refus de l’assistanat.  Elle consiste à critiquer les pauvres qui refuseraient de travailler et qui se satisferaient des maigres indemnités chômage et des allocations familiales attribuées par l’Etat. En effet, c’est bien connu : les allocations chômage durent trop longtemps et permettent de gagner plus qu’en travaillant !

Ce refus de l’assistanat, repris par la droite mais aussi par une partie de la gauche libérale, crée une opposition bidon entre les bons prolétaires qui travaillent dur et qui souffrent et ceux qui ne font rien et bénéficient des aides voire en abusent. Bien évidemment pour le FN, les bons prolétaires sont « français de souche » et les mauvais, issus de l’immigration.

Structurer le jeu politique

Le FN a aussi acquis la capacité de structurer le jeu politique en France, jouant en quelque sorte le rôle d’un « faiseur de rois » de par son poids électoral, sans pour autant parvenir à prendre directement le pouvoir. Pour le PS, bien que ce ne soit jamais avoué publiquement, l’enjeu consistait à faire monter le FN pour affaiblir la droite et gagner des élections en se présentant ensuite comme le barrage naturel face au FN.

La droite, l’UDF et le RPR, puis l’UMP ont fait face à cette menace électorale en choisissant de droitiser leur discours. Dans les années 1990, ce sont les lois Debré et Pasqua sur l’immigration qui jouent ce rôle. Dans les années 2000, c’est la politique sécuritaire de Sarkozy lorsqu’il est ministre sous Chirac, puis la présidence Sarkozy dans son ensemble, qui constitue une longue déclaration d’amour aux idées du FN. Cela se remarque aussi par la création au sein de l’UMP de tendances telles que la Droite Forte et la Droite Populaire qui ont pour objectif affiché de ressembler au Front National, avec toujours le risque que les électeurs « préfèrent l’original à la copie ».

Cette capacité à structurer le jeu politique se rappelle à chaque scrutin. Ici nous reviendrons non pas sur l’ensemble des élections dans lesquels le FN a joué un rôle important, mais uniquement sur les scrutins ou la majorité au pouvoir s’est décidée.

Lors des législatives de 1997, cette tendance se manifeste au grand jour. Les scores élevés du FN affaiblissent la droite au premier tour. De fait, un nombre élevé de triangulaires PS-droite-FN bénéficient au Parti socialiste et lui offrent une majorité confortable jusqu’en 2002.

Nous retrouvons cette capacité de nuisance lors des présidentielles de 2002, alors que le FN est officiellement en crise suite à l’affrontement entre Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen. Après une campagne marquée par un matraquage médiatique sur le thème de l’insécurité, Jean-Marie Le Pen se retrouve au second tour devant Lionel Jospin qu’il élimine, alors que le PS était donné gagnant au second tour par tous les sondages.

Cette importance se retrouve en 2007. En se plaçant très à droite, et en reprenant toute une partie du programme du FN, notamment grâce aux conseils de l’ex-frontiste Patrick Buisson, Nicolas Sarkozy parvient à siphonner les voix du FN, dont le score est relativement faible au premier tour et acquiert ainsi une dynamique suffisante pour remporter le second.

En 2012, Marine Le Pen est au plus haut avec plus de 6 millions de voix. Malgré le virage à droite de Sarkozy et les attentats terroristes, celui-ci ne parvient pas à prendre suffisamment de voix au FN pour remporter le second tour face à François Hollande, alors que le total des voix de gauche est inférieur à 45% au premier tour et que ce dernier est un candidat peu charismatique.

Le rôle du FN dans les présidentielles de 2017 a aussi été très important. Prenant acte de la progression de ce parti dans les scrutins intermédiaires (élections municipales, départementales, européennes, régionales), les dirigeants du PS et de la droite tablent sur la présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection. La  stratégie de chaque candidat  a été axée sur le fait d’arriver au second tour pour être assuré de battre le FN au second tour grâce au « vote barrage », s’épargnant ainsi de prendre des risques face à ce parti-épouvantail. Il est à noter que ces calculs ont au final nui au PS et à la droite, minées respectivement par le bilan du quinquennat et par les affaires du candidat Fillon, permettant à Emmanuel Macron de rafler la mise au second tour, sans appareil ni parti. Pendant, ce temps-là, ces jeux politiciens cyniques permettent au FN de se renforcer, atteignant dix millions de voix et plus de 33% des suffrages au second tour, ce qui est un record historique pour ce parti.

Influence sur les politiques publiques

Dans un souci de « triangulation », les gouvernements en place appliquent les propositions du FN. Le gouvernement Sarkozy arrivé au pouvoir avec une stratégie de siphonnage des voix du FN est l’un des meilleurs exemples de cette application du programme du Front National, mais il n’est pas le seul, loin de là. Pour étayer notre propos, nous avons examiné les propositions du programme du FN de 2002, qui à l’époque n’était pas encore « dédiabolisé ». Nous avons choisi ce programme car il est en quelque sorte un jalon qui a par la suite inspiré les évolutions des politiques publiques. Nous allons voir que de nombreuses mesures de ce programme ont été depuis appliquées par la gauche comme par la droite.

C’est particulièrement flagrant en ce qui concerne le volet sécuritaire du programme du FN. Dans le programme de 2002 figurent le durcissement des peines, la généralisation de la comparution immédiate, la facilitation des contrôles d’identité, les peines planchers, ainsi que la création de nombreuses places de prison, des mesures qui seront mises en place sous les mandats de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande.

Dans un autre registre, les lois sur le voile, mises en place en 2004 sous la présidence de Jacques Chirac interdisent le port du voile dans l’enseignement primaire et le secondaire, de même que la loi qui interdit du voile intégral dans l’espace public en 2010 sous Nicolas Sarkozy, figurent aussi dans le programme du Front National de 2002. Nous noterons que la droite a fait preuve de « modération » dans son application de programme du FN, qui demande aussi l’interdiction de la kippa dans l’espace public.

C’est aussi le cas de l’éducation nationale. Voici quelques mesures que l’on retrouve dans le programme du FN de 2002 : le retour des leçons de morale à l’école, réintroduits à la rentrée 2015 par le PS. La droite, elle, avait essayé en 2005 de « réhabiliter les enseignements qui valorisent l’identité nationale » (Proposition 14 du programme du FN de 2002) en proposant de mettre en avant le rôle positif de la France dans la colonisation, avant de devoir battre en retraite à cause du tollé que cette mesure avait suscité. De manière plus surprenante, l’autonomie des Universités, appliquée en 2007 par l’UMP avec la loi LRU, figurait déjà dans le programme de 2002 du FN.

Les rafles de sans-papiers

Cette influence se retrouve aussi dans la manière dont les immigrés « sans-papiers » sont traités. Les rafles se multiplient à partir de 2007 et de l’élection de Nicolas Sarkozy,  alors que le nombre d’expulsions explose pour atteindre entre 20 000 et 30 000 expulsions par an, avec un record de 36 000 expulsions en 2012.. Nous noterons par ailleurs que depuis 2012, ces chiffres se maintiennent au même niveau que sous la présidence de Nicolas Sarkozy .

Nous retrouvons cette inspiration dans la réaction du président Hollande aux attentats du 13 novembre 2015. L’état d’urgence mis en place par le PS prend sa source dans une gestion coloniale de la guerre et du maintien de l’ordre, et vers une mutation globale des démocraties parlementaires vers un état d’exception permanent. Ce type de mesure est proposé par le FN depuis de nombreuses années. L’un des meilleurs exemples de l’influence du Front National dans l’état d’urgence est le débat portant sur la déchéance de nationalité inclue dans la révision constitutionnelle du 23 décembre 2015. Sans réelle efficacité contre le terrorisme, elle est un marqueur symbolique du programme du Front National, repris par la plus grande partie de l’échiquier politique.

Ainsi, sans exercer le pouvoir à l’échelle du pays, l’extrême droite a pu acquérir une influence politique considérable. Qu’à l’échelle de l’Europe, elle parvienne à transformer cette influence en prise de pouvoir dépend de l’aggravation de la crise, mais aussi de la capacité du camp des travailleurs à s’opposer au fascisme, ce qui nous amène à la question de l’antifascisme…

L’extrême droite, sans parvenir au pouvoir, depuis quelques années exerce une importante influence sur la vie politique en France et en Europe. Chasse aux pauvres sous couvert de lutte contre l’insécurité, violences policières légitimées et exacerbées, panique morale vis-à-vis de l’Islam, état d’urgence, tentatives de mettre en place la déchéance de nationalité… Toutes ces politiques ont un point commun : être nées dans les esprits de l’extrême droite, et sont devenues la norme. Cette série d’articles extraits du livre « Temps obscurs, extrême droite et nationalisme en France et en Europe », écrit par des contributeurs au site 19h17.info et du blog Feu de prairie, ont pour objectif de mieux comprendre ce retour en force et le danger qu’il implique pour nous.

 

 

 

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2 Commentaires

  1. Très bonne analyse dans l’ensemble mais il est à regretter que soient occultés les effets néfastes de la désillusion, la déception des classes et couches populaires engendrées par les différents pouvoirs de gauche depuis 1981 (1983) qui a fait suite à deux décennies d’un énorme espoir cristallisé dans « l’union de la gauche » et dont nous connaissons encore aujourd’hui les dernières secousses de l’agonie.
    Le FN n’était qu’un groupuscule durant les années 70, première décennie du GRECE
    Ses résultats électoraux vont exploser après la victoire de François Mitterrand en 81 et tout particulièrement après le virage libéral de 1984 passant de 190 000 voix à plus de 2 millions. Seule la campagne agressive de Sarkozy en 2007 arrivera à lui sucrer 1 million de voix mais essentiellement par une reprise de ses thèmes favoris.
    Si l’idéologie frontiste se structure progressivement et remporte l’adhésion d’une partie large de l’électorat on pourra remarquer parallèlement la déstructuration idéologique de la gauche depuis les années 70 et en particulier l’abandon des thèses majeures du marxisme porté jusqu’alors par le parti communiste pour l’essentiel avec parallèlement le glissement social libéral du PS. Un long travail militant d’éducation populaire avait permis de faire du marxisme un axe central du débat et de l’affrontement idéologique à partir duquel tous devaient se positionner. Althusser affirmait que l’événement majeur du 20ème siècle était la fusion des idées de Marx avec le mouvement ouvrier. La fin de ce siècle et le début du suivant en marqueront le divorce. Enfin le FN a retenu non seulement les enseignements d’Antonio Gramsci mais aussi ceux de Lénine et de sa « ligne de masse ». Partant des classes moyennes poujadistes (artisans commerçants) les frontistes ont convaincu, les couches les plus conservatrices de la grande et de la petite bourgeoisie pour finir par subjuguer une partie non négligeable du prolétariat, à commencer par les chômeurs pour finir par subjuguer une partie importante de la classe ouvrière (ouvriers et employés). La question qui nous est posée aujourd’hui est celle du risque de voir l’ensemble du prolétariat basculer dans son camp et la nécessaire et vitale reconquête idéologique .

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