L’air du temps pue le cadavre. Cette société est un film d’horreur. La catastrophe approche et tout le monde le sait.
Qui croit encore au progrès ?
Les derniers prophètes du capital nous vantent le transhumanisme. Il serait demain possible de transférer son esprit dans du silicium. Dans une société ou les huit plus fortunés possèdent autant de richesses que plus de trois milliards de personnes, (( On parle ici d’une énorme masse de valorisation boursière, c’est à dire de capital fictif. Ceci étant dit, tant que ça ne crève pas…)) cette perspective ne fait rêver qu’eux même : demain, les morts, transférés sur disque dur, régneraient sur terre.
Dans le marxisme classique, on parle de domination formelle, puis de domination réelle du capital pour en désigner les différentes périodes.
Demain n’apporte que la perspective d’une domination surréelle du capital. (( La possibilité d’une troisième période du capitalisme n’est concevable que conditionnée à un écrasement cataclysmique des prolétaires. Cela revient à poser la question de l’avenir de l’humanité en tant qu’espèce. Les rêves des capitalistes sont des cauchemars mécaniques. ))
Hier encore les socialistes étaient des optimistes. Ils avaient avec eux le sens de l’histoire. C’est que « l’inéluctable marche en avant victorieuse du socialisme » était intimement liée avec l’utopie capitaliste du progrès. Ces idéologies étaient sœurs.
Toutes deux nous parlaient de l’avenir, comme l’écrivait W.Benjamin en 1929 « meilleur de nos enfants et de nos petits enfants, que tous se conduisent comme s’ils étaient des anges, que chacun possède comme s’il était riche, que chacun vive comme s’il était libre. D’anges, de richesses, de liberté, aucune trace. Rien que des images. » ((Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne » (1929), Œuvres II, Gallimard : Folio.))
Alors, contre l’idéologie du progrès, P. Naville (( Pierre Naville, « La Révolution et les Intellectuels » (1927) Gallimard. )) et W. Benjamin en appelaient à « organiser le pessimisme ». Le progrès n’est que progrès du capital. C’est à dire de sa domination sur le monde.
Aujourd’hui, cette domination se traduit par la catastrophe sur tout les plans : social, épidémiologique, environnemental, guerre et pénurie.
Revenons aux années 30. La crise du capitalisme de l’époque se résumaient à une quantité énorme de capital ne trouvant suffisamment de débouchés rentables. Cela plus la défaite de notre classe, a conduit a la catastrophe : pénurie sociale produite par la crise, regain de concurrence entre les états capitalistes, montée en puissance du fascisme formant un cocktail détonnant.
Le nazisme génocidaire est une manifestation particulièrement claire de la catastrophe tel que la période précédente la portait. Il est à la fois assignation communautaire, idéologie faisant de la figure du juif une incarnation de la valeur abstraite et annihilation du prolétariat yiddish.
Ce cauchemar a eu une fin, celle de la guerre mondiale. Et sur les cendres, sur cette immense destruction d’humains, de marchandises, de valeur, le capital s’est relancé.
La dernière carte de l’idéologie du progrès, fut alors le « plus jamais ça « . Comme bien souvent chez les démocrates ((Nos vies valent moins que leurs profits, le monde est une marchandise, etc. )), la réalité est alors l’inverse du discours : ça revient.
Et cette fois, quelle quantité de morts, de destruction, sera suffisante pour relancer le capitalisme ? Comme élément de réponse, rappelons qu’à la fin de la guerre mondiale, n’a pas succédé la paix mondiale. Mais la guerre locale permanente. Et cette guerre n’en finit pas de grandir. Si le théâtre des opérations militaires est surtout concentré sur quelques régions du monde, notamment le moyen-orient, le nombre de pays du monde officiellement en paix peut se compter sur les doigts de la main.
La catastrophe de notre période est incommensurable car sans limite, dans le temps et dans l’espace, sauf celle que nous fixerons si nous la conjurons. Nous sommes pris dans une accélération constante.
Il ne s’agit plus de faire exister le pessimisme comme contre-feu à la foi idiote dans le progrès. Le XXe siècle nous a vacciné contre le progrès.
Il s’agit d’organiser les pessimistes, dans l’objectif de participer à conjurer la catastrophe.
Cela suppose aussi d’en finir avec la vieille conception du catastrophisme qui consistait à prédire dans le désert la crise finale du capitalisme et qui s’inscrivait donc dans l’attente stérilisante de cette crise.
Nous proposons une ligne politique qui est un paradoxe apparent. Soyons catastrophiste, sans attendre. Soyons pessimistes : tout en défiance envers les divers avatars gestionnaires, peut importe ce qu’ils prétendent. Rien de bon n’est à prévoir d’un aménagement de la misère. N’attendons pas : c’est dés a présent, dans nos luttes, en organisant notre solidarité et notre autodéfense de classe, que nous pouvons participer à conjurer la catastrophe.
Une vague énorme de paupérisation, un grand appauvrissement.
L’impératif capitaliste, on le connaît. Il faut écraser les exploités pour redresser le taux de profit. Baisser les salaires, les allocations chômage, les retraites, le remboursement des soins. Nous faire travailler plus pour le même prix. C’est la litanie de l’austérité, de la restructuration. C’est une vague énorme de paupérisation.
Ce grand appauvrissement provient d’un bouleversement du rapport entre le capital et la classe des exploités des pays des centres capitalistes (( Nous ne mettons aucune connotation particulière derrière les notions de centre et de périphérie. Il s’agit juste de décrire d’un côté le phénomène par lequel le capitalisme a conquis le monde en partant de quelques points précis du globe de l’autre les enjeux stratégiques que cela a produit. )), qu’il nous faut comprendre : c’est un point central du conflit.
Le capital, qui a grandi dans le centre, est parti gagner l’ensemble de la périphérie comme phénomène de prédation extérieure, exogène. Il n’y a que dans le centre que la jonction existait entre accumulation du capital d’un côté et reproduction de la force de travail de l’autre.
L’histoire du capital, c’est l’histoire de la lutte des classes : c’est parce que le capital à été confronté aux luttes des prolétaires qu’il s’est adapté. Les capitalistes ont investis dans de meilleurs machines, pour produire plus parce les ouvriers refusaient de travailler douze heures par jour. Par leurs luttes , les prolétaires ont obtenus de meilleurs salaires, avec lesquels ils et elles ont pu acheter plus de marchandises.
Mais cela n’a duré qu’un temps et s’est limité sur des zones précises du monde. L’unification de l’accumulation du capital est de la reproduction de la force de travail, appelé par certain « développement autocentré » n’a jamais été à l’ordre du jour de la périphérie. Les tentatives les plus poussées, les capitalismes d’état Soviétique et Chinois, ont chacune volées en éclats à leur manière.
Pour le dire autrement, les économies de pays aussi divers que l’Algérie, le Bangladesh, le Brésil, la Chine, l’Iran, le Mexique ou encore la Russie etc… sont exportatrices. Elles ne produisent pas en premier lieu pour le marché intérieur, mais pour l’exportation. En retour, car cela est lié, elles sont dépendantes des importations de toutes sortes de marchandises. Le capital international est là, à l’entrée et a la sortie.
Dans ce contexte, du point de vue du capital, les salaires ne sont pas considérés comme un investissement qui va de toute façon permettre d’écouler les marchandises, mais seulement comme un coût. Ce coût est alors à ajuster. Ainsi, la vague des plans d’ajustements structurels des années 80.
Reprenons. Le salaire, contrairement aux pays du centre en leur temps ( nous y reviendrons plus bas) n’est pas légitime du point de vue du capital, dans la périphérie. Il est un coût, comme une taxe obligatoire, que la pression du capital va tendre à baisser au maximum. Le tout étant de conserver une certaine stabilité sociale et politique. En permanence, cela conduit a la spoliation, la prédation, le vol pur et simple. Celui qui va négocier, dans une position inconfortable, le degré maximum de spoliation est alors l’État. Par ses taxes, il va capter une part minime mais existante de revenus. Et la clique gouvernante va se voir proposer le deal classique, qu’on retrouve un peu partout: se servir à la marge.
Les luttes sont alors confrontées à un double piège, une trappe à mobilisation.
Elle repose sur deux mots d’ordre contradictoires.
- Contre la corruption: « halte à ces pratiques, à cette kleptocratie qui nous dirige! Pour une bonne gestion, ayons un État digne de ce nom! » Par voie de conséquences, ce discours va de pair avec celui de l’austérité, le clientélisme étant la forme que prend la redistribution. La main qui se sert est aussi la main qui jette les miettes.
- Pour la redistribution du revenu : « pour l’état social, celui qui donne des emplois, des subventions! Qu’il redistribue cette rente qu’il a reçu du capital international. » Mais il y a trop peu de cette rente et cette gestion de la pénurie se manifeste par le clientélisme, l’aménagement de la misère, la ré-assignation communautaire. Il n’y a pas assez pour tout le monde (( Communauté nationale, « ethnique », religieuse, sont au fondement d’une gestion de la pénurie basée sur l’exclusion du partage et la domestication des prolétaires « inclus ». Les communautés comme espace où l’on cadre, discipline, subordonne, exploite les prolétaires, tout en excluant certains d’entre eux de la distribution du peu de soupe disponible. En résumé, les nôtres avant les autres et si tu fais partie des nôtres, ferme ta gueule et n’oublie pas qui te fait bosser et par-là qui te permet de bouffer. Ces différentes communautés sont aujourd’hui la réponse gestionnaire à tout. Le cadre de gestion de la pénurie produite socialement par le capital en crise. ))… retour au 1.
Dans les deux cas, l’une après l’autre voire en même temps, la lutte se mène sur le terrain du politique, au sens du rapport à l’état. Confrontée aux limites que nous venons d’énoncer, elle ne peut que perdre, de milles manières, tant qu’elle reste sur ce terrain.
Ce terrain est d’ailleurs aussi un espace, celui de la place publique. En cela, la forme rejoint le fond. La place, lieu par excellence de la réunion pacifique, rassemble les différents éléments du peuple (( « Quand j’entends le mot « peuple » je me demande quels mauvais coups on prépare contre le prolétariat » disait Marx parait-il )).
Il est utile de noter que les grandes places publiques sont les endroits les plus faciles à évacuer par une intervention de maintien de l’ordre: là aussi, la forme rejoint le fond.
Pourtant, rien n’indique que les mouvements à venir s’enfonceront dans cette trappe: rien n’est joué. Et dans les années, voire les mois qui viennent, les pays que nous avons cité plus haut seront à n’en pas douter confronté à des explosions sociales. Car le propre de la situation que nous décrivons, c’est qu’il s’agit d’un équilibre précaire.
Aujourd’hui, nous voyons la pression du capital se manifester ici aussi, dans les pays du centre, comme exogène, dénationalisé.
Et les similitudes sont frappantes. Ici et là, on se rassemble sur les places publiques, on demande du revenu à l’état, on agite les drapeaux nationaux, on tambourine sur des casseroles. Il est temps de redistribuer mieux, plus équitablement, les miettes. Il est temps que l’État fasse son travail. Il est temps d’en finir avec la corruption, les affaires. Le paysage politique se bouleverse, les partis tombent, se restructurent, sont remplacés. On enlève et on remet des cravates.
Ce qu’il y a de commun au mouvement 5 étoiles en Italie, à l’attelage gouvernemental Syriza – Grecs indépendants en Grèce, à Podemos en Espagne, à Melenchon (France Insoumise…), ou encore au FN (( Bien sûr comparer n’est pas tirer un trait d’égalité. De la même manière, dans les années 30, on peut dire que des orientations de type keynésienne furent à l’œuvre aussi bien dans le New Deal que dans le Nazisme, sans dire que c’était la même chose. )) , ce sont les drapeaux nationaux.
Car la redistribution de l’État se fait sur la base de la communauté nationale. Elle repose donc sur l’exclusion du partage pour les non-nationaux et la redéfinition de ce qui est national et ce qui ne l’est pas. Elle va donc de pair avec la question de la souveraineté, que tous agitent: la voie de garage actuelle des tendances démocrates-nationales, c’est le séparatisme. Ce n’est pas nouveau, il suffit de se rappeler l’éclatement de la Yougoslavie. A cela s’ajoute la dénonciation de « la caste » qui s’en met plein les poches: on ne sort pas de la gestion de la pénurie décrite plus haut.
Et même sur le papier, ça ne vends pas du rêve. On est loin de changer la vie : au mieux, on vous propose le RMI un peu augmenté. Et n’oublions pas que le prix a payer, c’est la domestication. En échange du maintien d’un certain niveau de redistribution, la contrepartie c’est la flexibilité, la baisse des salaires, l’obligation de cumul d’emplois.
Car il n’y a rien a en attendre. Ici aussi, nous sommes un coût, pour un capital qui nous surplombe et qui nous écrase toujours d’avantage. Les États ne constituent pas plus une protection ici qu’ailleurs. Plutôt une pénurie de carottes et un gros tas de bâtons. C’est d’ailleurs tellement visible: il suffit de voir la façon dont la police nous fait face aujourd’hui, comme dernier interlocuteur, mais aussi comme incarnation de l’état.
Cet état des lieux ne parait pas bien brillant. C’est vrai, les tendances à l’œuvre n’ont rien de réjouissantes. Mais, répétons le, rien n’est joué.
Voici notre pari : le prolétariat dans l’écrasement en cours, ne se laissera pas faire.
Et dans la lutte pour se défendre, notre classe sera amenée a prendre l’offensive. Nous ferons notre possible en ce sens, dans la mesure de nos forces. Les conditions de notre victoire ne nous sont bien évidemment pas connues. Du moins, pas toutes. Car elles sont de deux ordres : les conditions nécessaires, et les conditions suffisantes. En d’autres termes, ce qui est nécessaire pour la révolution et ce qui est suffisant pour la victoire de celle ci. Nous ne connaissons pas ce qui sera suffisant : seul le cours de la révolution nous le dira.
Mais c’est dans les luttes d’aujourd’hui que nous pouvons percevoir ce qui est nécessaire. Car cela consiste à briser les limites que nous rencontrons face à nous dans l’affrontement de classe.
L’année qui s’ouvre marque le centenaire de 1917. C’est aussi une année porteuse de tempêtes. Ce qui est prévisible, c’est que notre condition va empirer.
Nous nous situons du côté de l’imprévu.
«Mais combien de choses fait‑on pour l’incertain. Les voyages sur mer, les batailles.»
Pascal, Pensées diverses I – Fragment n° 27 / 37