Les manuels d’économie attribuent trois fonctions à la monnaie : intermédiaire des échanges, réserve de valeur et unité de compte. Mais ils en oublient une.
1 Bitcoin = 7251,31 € au 21 mai 2018
Trois fonctions traditionnelles
En premier lieu, l’argent sert de moyen de paiement. C’est la fonction la plus simple et la plus courante, celle qui permet d’effectuer des millions de transactions quotidiennes. Acheter un pain au chocolat avec un euro, acheter une voiture avec dix mille euros, ou acheter une maison avec cinq cent mille euros sont des exemples simples de cette fonction d’intermédiaire des échanges.
Comme réserve de valeur, la monnaie permet de transférer du pouvoir d’achat dans le temps. Si je conserve mes euros dans mon porte-monnaie, ou sur un compte en banque, je pourrai acheter le pain au chocolat, la voiture ou la maison non pas aujourd’hui, mais dans un futur plus ou moins proche. Cette fonction n’est pas aussi évidente qu’il le paraît. Il existe des moyens de paiement qui se périment au bout d’un certain temps. Un bon d’achat valable jusqu’à une date donnée en est un exemple. La monnaie dans sa définition complète suppose une forme de permanence.
Enfin, en tant qu’unité de compte, l’argent permet d’évaluer des biens qui ne font pas forcément l’objet d’une vente et de comptabiliser leurs valeurs.
Aucune de ces fonctions n’impose, au sens strict, l’usage de l’argent. Les échanges peuvent être assurés par le troc. Les biens immobiliers, la terre ou les métaux précieux peuvent servir de réserve de valeur. On peut évaluer la valeur d’un bien en la comparant à celle d’un autre bien.
L’argent est le facilitateur de ces opérations sans être pour autant absolument indispensable à chacune d’elles. Cet aspect des choses conduit l’économie classique à considérer l’argent comme un instrument quasiment neutre, et à ignorer la quatrième fonction de la monnaie.
L’argent, incarnation universelle de la valeur
Cette fonction apparait avec le capitalisme.
Au début du Capital, Marx décrit la monnaie comme un « équivalent général » qui peut se substituer à toutes les marchandises. L’argent rend immédiatement visible une qualité commune à toutes les marchandises : le fait d’avoir une valeur. Il matérialise cette chose mystérieuse dont le capitalisme a fait l’alpha et l’oméga de la domination sociale.
La valeur est une qualité indispensable pour que les marchandises s’échangent. Sans équivalent général, pas de production capitaliste possible, ni sur le plan des idées, ni dans la pratique réelle et quotidienne des agents économiques.
L’argent et valeur existent depuis plus longtemps que le mode de production capitaliste. Mais dans un monde qui échange d’abord des surplus, ils n’occupent pas une place centrale. Incarner la valeur ne revêt alors ni le même sens, ni le même enjeu.
Dans le mode de production capitaliste en revanche, l’échange est au cœur de la production. Il s’agit de rendre universel le fait que le but de l’échange n’est pas la satisfaction d’un besoin mais l’augmentation du capital. Ce que Marx appelle le circuit Argent – Marchandise– Argent par opposition au circuit Marchandise – Argent – Marchandise[1].
Évidemment, les marchands antiques ou médiévaux avaient déjà l’augmentation de leur capital comme objectif. Mais dans le capitalisme contemporain, l’augmentation sans fin du capital n’est plus uniquement le projet d’une classe de marchands, aussi puissante soit-elle. C’est devenu le but de la société toute entière.
Le Bitcoin et les fonctions de la monnaie
Comme moyen de paiement, le Bitoin n’est accepté que par quelques sites Internet. Son cours volatile n’en fait pas un placement sûr. Personne ne compte la valeur d’une maison, d’une voiture ou d’un pain au chocolat en Bitcoin.
Et surtout, le Bitcoin n’incarne pas la valeur dans la société du capital. Il faut se garder d’une compréhension faussée de ce que l’expression « incarner la valeur » pourrait signifier. Sous prétexte que la monnaie est un symbole, on croit que ce symbole est arbitraire. Rien n’est plus faux.
Les mécanismes sociaux qui donnent leur force aux représentations symboliques sont aussi concrets que millions de tonnes de produits que le capitalisme déplace quotidiennement. Ce qui permet à la monnaie d’incarner la valeur, ce sont les innombrables échanges qu’elle autorise chaque jour. C’est le sillon que la réitération continue, infinie et uniforme de ces opérations a imprimé au cours des siècles. L’activité humaine est modelée par la répétition monotone de l’histoire.
De nombreuses transactions sont réalisées en Bitcoin ou en Ethereum. Mais combien, en pourcentage, par rapport aux échanges en dollars, en euros ou en roupies ? Et combien, si l’on remonte aux débuts du capital ?
Le Bitcoin et les autres crypto-monnaies, dont la puissance symbolique s’appuie sur un fantasme technologique récent, ne peuvent rivaliser avec une histoire pluriséculaire. Tout au contraire, les crypto-monnaies sont clairement des valeurs spéculatives. Une chute brutale pourrait détourner d’elles le public pour longtemps.
Série consacrée au Bitcoin, aux crypto-monnaies et à l’argent en général. Chaque Lundi à 19 h 17.
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Notes
[1] « La formule générale du capital », Le Capital, Livre I, chapitre IV
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